mardi 21 août 2007

Sir Jones et "son pistil" Jocelyn Ahoueya

Le triomphe des Black Starlets, devant les Ecureuils dimanche dernier au Stade de l'Amitié, a remis en scelle le Ghanéen qui a conduit le Bénin à la Coupe d'Afrique des Nations (CAN, Tunisie 2004). Cecil Jones Atturquayefio est revenu à Kouhounou où il avait fait vibrer de milliers de supporters béninois pour constater quelque progrès de notre football. Ses conseils seront aussi utiles pour accompagner les espoirs de qualification des Ecureuils au soir du 08 septembre à Freetown surtout que "son pistil" Ahoueya a mué en "fruit mûr".

De ses jambes engourdies, on l'imagine descendre en premier les marchepieds du bus qui emmène les juniors ghanéens au Stade de l'Amitié. Kouhounou a retrouvé cet homme taciturne et discret, éprouvé par la force de l'âge mais toujours passionné de football, cet art qui l'a révélé sur le plan continental. D'abord en tant que Black Stars, ensuite comme entraîneur de clubs et sélectionneur des équipes nationales du Ghana et du Bénin.

L'austérité du technicien ghanéen dissimule bien son goût pour les revanches. Sir Jones qui a quitté incognito la capitale économique béninoise pour rejoindre son pays, aux lendemains du match nul face au Soudan à Kouhounou a, sans doute, pardonné les humiliations et les ingratitudes à son égard en acceptant de fouler à nouveau l'antre du Stade de l'Amitié. Lorsqu'il débarque à Cotonou en avril 2003, avec pour défi de qualifier pour la première fois les Ecureuils à la CAN 2004, l'équipe nationale affichait encore cette friabilité qui a eu raison d'elle quelques semaines auparavant à Khartoum (défaite face au Soudan 0-3). Comme sorti d'un musée, le vieil homme à la face livide et au crâne tondu cache mal ses inquiétudes renforcées par les replis de ses rides au front de son visage.

Sollicité au stade René Pleven d'Akpakpa pour ramener le technicien ghanéen à son hôtel moisi de crasse et couvert d'odeur de poisson frais, le sexagénaire avait fini par lâcher un sourire sympathique à l'énoncé de mon nom de famille. A bord de ma guimbarde, où il avait pris place, je lisais sérénité et confiance à mon égard quoiqu'il ait été informé au préalable par les responsables de la Fédération béninoise de football que son serviteur que j'étais subitement devenu faute de taxi est un journaliste.

Déformation professionnelle ou loquacité débordante, je me suis permis d'explorer ses connaissances du football béninois. Elles étaient exécrables. Il ne connaît aucun footballeur béninois. J'ai beau remonter l'histoire, parler des joueurs qui écumaient les stades à la même époque que lui, comme Anna Charles, Atta Pinceau, Alphonse Hondjo et plus près Dorego Saadou, Alikpara Ludovic ou encore Dossou Gbété, Zamba Raoul, Hounouvi Bernard, Johnson Fernando, Abdoulaye Mohamed "Petit Sory", Aské Mohamed, le technicien avoue son ignorance du football béninois. Mais pour un technicien, s'empresse-t-il de préciser, l'état des lieux c'est l'instant. "I'll try my best" ai-je saisi de son anglais aux accents tropicaux en guise de conclusion. Le temps presse. Le match retour face au Soudan s'annonçait difficile. Le Ghanéen a cherché en vain une star au Bénin à l'image de son ancien joueur Michael Essien. "Essien is my player", se plaît-il de rappeler.

Trois semaines après, il impose Jocelyn Ahoueya en milieu de terrain faute de compter sur Moussa Latoundji exclut pour deux matches suite à son carton rouge écopé à Khartoum. Les récriminations sont fortes sur la titularisation de Ahoueya mais le vieil homme a confiance en son gamin. Ce dimanche-là face au Soudan, avec son numéro 19, le néophyte Ahoueya est tenace en milieu de terrain. A la mi-temps, j'avais repéré Moussa Latoundji dans les tribunes officielles. Le visage caché derrière des lunettes fumées en jetant un coup d'œil sur ma fiche de début de match, il avoue : "c'est qui le n°19 ? Il est excellent".

Aujourd'hui Sir Jones peut s'enorgueillir d'avoir façonné Ahoueya, de lui avoir donné sa chance, là où certains le jugeaient petit de taille pour une carrière de footballeur. Sir Jones peut être fier d'avoir redéfini la carrière de ce garçon laissé au Mogas 90. Ahoueya signe actuellement les belles pages du FC Sion et des Ecureuils.

Il est vrai que le succès au Bénin comme à l'étranger d'Ahoueya est d'abord la conséquence de son travail personnel. Mais quand il fait vibrer le public sportif, les férus du foot admettent bien que Sir Jones devrait aussi récolter les lauriers. Derrière un grand entraîneur, se cache toujours un joueur de talent. Dans les pétales béninoises de Sir Jones, un pistil a donné des fruits. Ahoueya est ce pistil-là.